Les Journées du Pôle foncier s’adaptent à la situation de crise sanitaire en proposant un nouveau format constitué d’une série de sessions de 2 heures autour d’une thématique.
Le lien sera communiqué au fil des session avec une préinscription en ligne.

Le foncier coutumier est une catégorie polysémique, qui a été historiquement construite et travaillée par des objectifs divergents relevant d’enjeux divers : colonisation territoriale et administrative, formalisation juridique, développement économique, gouvernance des ressources naturelles, revendications autochtones, politique multiculturelle, ancrage de l’Etat, etc. Or, il est frappant de constater à quel point le foncier coutumier est évoqué partout mais traité nulle part. Plus précisément, la « question coutumière » apparaît très rarement comme un objet d’étude en soi, mais bien plus comme élément de contexte ou facteur affecté d’une appréciation normative (facteur bloquant ou facilitant) dans le cadre d’analyses ou d’actions portant sur les conflits sur la terre, les marchés fonciers, les processus de transmission intergénérationnelle, les rapport de genre, la dynamique des pouvoirs locaux, les questions de gouvernementalité rurale, les rapports entre autochtones et allochtones, ou encore l’implantation d’enclave extractives ou conservationnistes.

L’objectif de ces journées est de poser les termes du débat de manière à la fois frontale – parler du foncier coutumier et non pas d’autre chose via le prisme du foncier coutumier – et plurielle, en fonction des centres d’intérêts thématiques et géographiques des contributeurs à ces séances.

Ces séances, organisées en 6 sessions de 2 heures chacune, exploreront la manière dont les sociétés ont construit historiquement leur rapport à la terre en l’absence (ou en éloignement) de l’Etat, ce qui les obligeaient à devoir répondre localement, à partir des ressources de la communauté et de l’organisation foncière, à la totalité des besoins de leur existence (production et reproduction comprises). Notre hypothèse est qu’il est impossible de produire une définition des droits coutumiers sans avoir en tête ce contexte particulier qui implique la primauté du devoir d’exister de tous sur l’ensemble des fonctions auxquelles le foncier ou les ressources naturelles peuvent répondre, pour tel ou tel individu ou sous-groupe, en particulier. On portera également notre attention sur les variations dans les droits coutumiers liées aux formes différenciées d’agencements entre humains et non-humains et d’attachement à la terre de sociétés qui se distinguent en particulier par la place qui est offerte aux étrangers (sociétés « intriquées » vs « attachées »).

Les différentes sessions viseront sur ces bases à élargir la conversation à une série d’enjeux contemporains faisant intervenir le registre coutumier : articulations politiques entre foncier coutumier et communs, négociations foncières et des compensations avec des projets exogènes, extractifs ou conservationnistes, place du foncier coutumier dans les processus de marchandisation, articulations coutume/droit national/international en lien avec les questions de citoyenneté, autochtonie et souveraineté. Les chantiers géographiques à la base de ces réflexions seront eux-mêmes diversifiés : Afrique de l’Ouest, Madagascar, Maghreb, Mexique, France, Océanie…


Détails de l’événement



Programme

  • Propositions pour l’analyse des questions foncières à partir d’une réflexion sur les droits coutumierspar :  Benabou Jonathan ;

    Après une caractérisation des types de sociétés qui nous intéressent dans le cadre de cette analyse et une définition de leur positionnement vis-à-vis de l’Etat et de la nation, cet exposé cherchera à développer quelques points théoriques. Ils porteront sur les questions suivantes : quelles sont les rapports entre possession et identité dans les différents systèmes fonciers, d’où vient le pouvoir d’appropriation (le travail, les risques, la souillure, les droits de propriété intellectuels?), que devient le pouvoir d’appropriation lorsqu’il n’est pas suivi d’une humanisation de la source de la valeur économique, est-il possible de distinguer des socius différents au sein de la même catégorie globale (« sociétés coutumières »), quelles sont les institutions qui correspondent à ces socius, quelle est définition des droits coutumiers qui permet de rendre compte manière transversale de ces institutions au-delà de leur apparente diversité ?

  • Le foncier « coutumier », un fait social holistique, quotidiennement en œuvre et en évolution

    Il est plus facile de qualifier ce que le foncier coutumier n’est pas que ce qu’il est. Que signifie « coutumier » en l’occurrence ? Il est certain que le foncier dit « coutumier » n’est pas figé, il n’est pas si « informel » qu’on le dit car il est doté d’institutions, de règles, de pratiques. Il n’est pas non plus anecdotique, car il couvre de larges régions et sociétés. Il n’est enfin plus spécifiquement « local » , car il est aussi fait d’institutions et d’accords négociés dont l’ampleur peut être nationale voire régionale. Et il inclut des formes de marchandisation. Au final, la meilleure façon de le caractériser est peut-être de le qualifier de foncier « holistique ».

    En se référant à l’intervention introductive de Jean-Pierre Jacob (séance 1 du 21/10/21), il s’agira de présenter des exemples concrets et quotidiens d’application de cette perception holistique du foncier au Sénégal, en s’appuyant sur les résultats de travaux collectifs de ces dernières années : un accompagnement de responsables coutumiers dans la sélection d’attributaires sur un nouveau périmètre irrigué dans la vallée du fleuve Sénégal (D’Aquino, Camara, Seck, 2017, Formaliser ou sécuriser les droits locaux sur la terre ? Leçons de l’expérience dans la vallée du Sénégal, Etudes rurales 199/1) ; les enjeux à l’origine de la création d’un comité national sénégalais de mobilisation de la société civile contre les accaparements de terre (Crafs) (Hopsort, 2013, La société civile contre l’accaparement des terres au Sénégal : une forme originale de mobilisation, organisation informelle et multi niveaux.), les résultats de simulations participatives villageoises de politiques foncières (D’Aquino, Ba, Bourgoin, Cefai, Richebourg, Hopsort, Pascutto, 2017, Du savoir local au pouvoir central : un processus participatif sur la réforme foncière au Sénégal, Natures, Sciences, Sociétés 25/4).

  • Les droits coutumiers au Maghreb à l’épreuve des réformes foncières et des conflits Etat-communautés ruralespar :  Bessaoud Omar ;

    Les textes de loi ne reconnaissent pas au Maghreb la catégorie juridique de « droit coutumier ». Celle-ci a été développée par les juristes et socio-anthropologues, en référence aux droits de possession collective exercées sur des terres par des communautés rurales (montagnardes, de parcours steppiques ou de terres des hautes plaines sèches). Ces droits renvoient aux terres dites archs (terres de tribus) en Tunisie ou terres collectives au Maroc. Ces terres ont généralement été classées dans le domaine privé de l’Etat ou géré comme c’est le cas au Maroc par l’Etat (le ministère de l’intérieur). Elles font (ou ont fait) l’actualité à l’occasion de conflits entre l’Etat et les communautés rurales ou de grandes réformes foncières (réforme agraire et politiques de privatisation des terres collectives), les communautés revendiquant leurs droits historiques. 

    Le thème sera organisé en 2 séances avec (à confirmer) Jeanne Chiche et Mohamed Mahdi (Maroc), Slimane Benchérif et Omar Bessaoud (Algérie) et Ben Saad (Tunisie). 

    La première séance portera sur l’état de la question dans les trois pays (restituant les conclusions des études produites il y a 3 ans pour chacun des pays). La seconde séance qui traitera des conflits opposant les communautés rurales à l’Etat à l’occasion des réformes foncières engagées.

  • Le « marché coutumier ». Transferts marchands et conflits sur les droits fonciers dans les communautés d’Indiens du Mexique colonial et postcolonial (XVIIIe-XIXe siècles)

    La communication propose d’explorer la question du marché foncier et des sens donnés aux transferts marchands de terre dans les communautés d’origine coloniale au Mexique, entre la deuxième moitié du XVIIIe siècle et la première du XIXe. A cette époque l’essor des échanges commerciaux a stimulé, d’une part, l’installation d’acteurs créoles ou métis dans les pueblos indigènes et, d’autre part, le développement des pratiques de crédit reposant sur la mise en gage ou la vente à réméré des possessions individuelles sur les propriétés communautaires. Les archives rendent compte des différends concernant les interprétations à donner aux transferts de ressources foncières (terre et plantations) dans le cadre de ces pratiques et aux modalités de remboursement des crédits engagés. Ils révèlent aussi les évolutions des critères mobilisés par les magistrats dans le traitement de ces litiges entre la période coloniale et la période indépendante-libérale, dans le sens d’un durcissement de la notion de « propriété », en prise avec la diffusion des idées libérales. La communication vise à aborder le foncier coutumier en tant qu’expression « du politique dans la propriété », c’est-à-dire comme outil d’analyse de la propriété en tant que manifestation d’un projet politique.

  • Coutume, foncier coutumier et lien à la terre en Océanie coloniale/postcoloniale

    En Océanie, la question du foncier coutumier a souvent été abordée sous l’angle de la coutume, de ses fonctions et usages, plus qu’en tant que catégorie spécifique relevant d’une analyse particulière. Cela tient en partie à la place qu’a occupé le référentiel coutumier dans les débats relatifs à la décolonisation et à la construction de nations postcoloniales. Ce registre instrumental a nourri les controverses autour de « l’invention » (de la coutume, de la tradition) qui ont enflammé les cercles académiques et politiques dans les années 1970-90. La négociation de grands projets extractifs (et aussi conservationnistes) constitue un deuxième lieu de déploiement d’une réflexion à visée opérationnelle sur le foncier coutumier : qui sont les ayants-droit éligibles à des compensations diverses, quels sont les espaces concernés ? Or ces enjeux cruciaux pour les nations et les populations concernées révèlent des représentations et des expériences du lien à la terre, des formes d’attachement au lieu et aux générations passées et futures, des manières de construire des valeurs et des savoirs relatifs aux endroits et aux espaces qui appellent une analyse spécifique, qui contribuera aussi à mieux comprendre la manière dont des « projets » d’ordres divers (construire la nation, développer une enclave extractive, protéger un écosystème) sont négociés.

  • La valorisation des usages de la terre et de ses ressources : vers la co-contruction de nouveaux récits fondateurs?par :  Aubert Sigrid ;

    Les modèles de comportement et les systèmes de disposition durables peuvent s’ériger en normes juridiques au-delà des règles. Ces processus confèrent un caractère dynamique à la coutume qui se frotte au droit de la pratique et au droit de l’État jusqu’à parfois instituer des ordonnancements sociaux qui échappent à une représentation universelle, générale et abstraite, de la réalité. Au Nord comme au Sud, le pluralisme juridique donne alors des clés de lecture pour réinterroger les modèles de sociétés et donner aux individus comme aux organisations sociales des moyens d’émancipation économiques, politiques et même écologiques. Illustrée par une étude sur la valorisation des usages pastoraux par les gestionnaires d’estives dans les Pyrénées, cette communication propose d’interroger les modes de formation, d’application et de disparition des usages entendus comme des pratiques légitimes et répétées susceptibles de recouvrir une force normative. Différents exemples permettront de questionner les postures et méthodes juridiques susceptibles de faire valoir les usages découlant de la solidarité sociale et écologique des acteurs du pastoralisme sur les biens communaux que constituent les estives.